« La danse de l’araignée » de Laura Alcoba chez Gallimard

9782070197873«La Danse de l’araignée » est un délicieux, délicat et très émouvant récit dans lequel la romancière Laura Alcoba, argentine de naissance, française depuis une trentaine d’années, nous parle de son enfance dans la banlieue parisienne, alors qu’elle y est adolescente et collégienne, aux côtés de sa mère, exilée politique ayant fui le régime dictatorial des généraux argentins des années 70 et 80. Laura Alcoba prolonge ici le récit de cette prime jeunesse dont elle nous avait parlé dans deux textes autobiographiques précédents.
Le premier, paru en 2007, nous avait appris les conditions de vie et de résistance aux autorités politiques et militaires de l’époque vécues par ses parents. Ce fut « Manèges : petite histoire argentine », où Laura racontait son enfance, vécue dans l’ombre clandestine d’un père et d’une mère, tous deux membres des « Montoneros », révolutionnaires péronistes. Le livre, écrit directement en français, eut un vaste écho en Argentine. Au point qu’à Buenos Aires, Laura Alcoba fut vite perçue comme un écrivain authentiquement et essentiellement argentin.
« Le Bleu des abeilles » prolongea ce premier récit, et même si le mot « roman » apparut une nouvelle fois sur la page de titre, le poids autobiographique du texte demeurait le même. Le père de Laura, enfermé dans les geôles des dictateurs, correspondait avec sa fille, désormais réfugiée en France, dans un échange épistolaire très régulier et totalement hispanophone, règlement carcéral oblige. Outre ce dialogue avec son père, on voyait l’attention et la fascination de la jeune Laura se développer pour la langue française, son autre terre d’accueil, qui la subjuguait par sa beauté et sa musicalité.
« La danse de l’araignée » est le troisième volet de cette jeunesse adolescente, toujours privée d’un père incarcéré dans les prisons argentines, avec qui Laura continuera d’échanger par lettre, dans la réglementaire et obligatoire langue espagnole. Une correspondance permanente, profondément attentive et affectueuse de part et d’autre, soumise à l’angoissant aléa du bon vouloir et la censure des geôliers. La langue pour Laura, et pour son père qui l’encourage sans cesse à lire les grands auteurs français, continuera d’être ce pays à conquérir. Avec l’aide du Petit Robert, outil qui ne la quitte plus, le « Robertito », dit-elle, avec tendresse, comme elle parlerait d’un ami.
Que vient faire une araignée dans ce lien tissé entre eux deux ? L’anecdote vient de son père qui lui rapporte le cas d’un argentin dont la seule compagnie est celle d’une mygale, une « araña pollito andine qu’on peut vraiment apprivoiser », une araignée-poussin virevoltante, que l’homme libère de sa petite cage à son retour chaque soir à la maison, et dont il caresse le ventre comme on le ferait d’un doux animal domestique. Solitude d’un homme atténuée par la compagnie pour le moins insolite d’un animal qui inspire plutôt la crainte. L’histoire fascine Laura qui y voit l’image d’une fidélité prise dans les fils ténus mais forts de son affection et de sa tendresse pour ce père captif.
Le récit, jalonné d’anecdotes familières propres à la jeunesse, entre amies complices, entre garçons et filles, entre mère et enfant, a le charme irrésistible de ces moments où naissent les premiers émois de la vie, comme Laura Alcoba en avait nourri « Le Bleu des abeilles », avec le même bonheur d’écriture.
Les échos de la répression de la police argentine parviennent toujours jusqu’à elles, à Bagnolet, quand elles apprennent le suicide de l’amie Mariana, attendant chez elle, dans son appartement de Buenos Aires, l’arrivée de son fiancé, le clandestin Paco. Entendant la police frapper furieusement à sa porte, Mariana, terrorisée, se jette par la fenêtre sous les yeux incrédules et effarés de son compagnon parvenu tout juste au pied de son immeuble.
D’autres nouvelles, françaises et républicaines celles-là, viennent leur réchauffer le cœur : l’élection de François Mitterrand dont les première paroles sont comme un baume quand le nouveau Président s’adresse aux « humbles militants pénétrés d’idéal » et qu’il évoque les « centaines de millions d’hommes sur la terre qui sauront ce soir que la France est prête à leur parler le langage qu’ils ont appris à aimer d’elle ».
Un jour, une lettre de son père parvient à Laura et à sa mère, simultanément, annonçant sa libération conditionnelle. Libération dont il profitera pour fuir l’Argentine, par sûreté, et rejoindre femme et enfant en France. La nouvelle laissera Laura dans un état de totale sidération et déclenchera une longue crise de larmes incontrôlée. L’angoisse interminable de l’attente, jusqu’alors maîtrisée par cette enfant d’une maturité exemplaire, libérait le flot des émotions contenues pendant ces années d’éloignement. Le père presse alors dans ses bras sa fille retrouvée à l’aéroport. Et leurs retrouvailles nous valent d’ultimes pages bouleversantes.
Un livre à lire absolument.

par JB

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